« ...nous sommes le 2 mai 2069 et vous écoutez Radio Wilmington. La météo nous annonce une nouvelle vague de chaleur pour le restant de la semaine. Pensez à boire beaucoup deau et à vous couvrir la tête ! Tout de suite une page de publicité... »
Célestine Foster, née Cornille, versa un peu de lait dans sa faïence rose et se resservit du thé. Elle sappuya au buffet et sirota sa boisson, profitant du calme matinal. Mrs Foster était une élégante vieille dame de soixante et onze ans, mince et soignée. Elle portait un tailleur parme et des pantoufles à talons, avec un pompon de fourrure synthétique sur le dessus. Ses cheveux d'un gris argenté étaient relevés en un chignon lâche, mettant en valeur un visage délicat. Elle habitait un petit pavillon de banlieue propret, décoré d'une profusion d'assiettes de porcelaine et de coussins de dentelle. Dans un coin du salon, trônait un vélo elliptique rutilant. Une odeur de lavande et de muffins planait en permanence dans la maison.
Un mouvement à l'extérieur attira son attention et Mrs Foster
s'approcha de la fenêtre. Une jeune fille remontait le trottoir, ses énormes
bourrelets moulés dans une combinaison de latex jaune transparent. Célestine
dit dune voix pincée :
« Ah, voici Miss Moore qui prend le frais. Sa mise est d'une révoltante
vulgarité, comme toujours. De mon temps, une femme ne serait jamais sortie
dans une tenue pareille... Qu'en penses-tu, Jack chéri ? »
Elle se tourna vers le portrait d'un homme roux, portant une grosse moustache.
Interprétant son immobilité comme de l'approbation, elle sourit.
Un gros chat gris traversa la cuisine et se frotta contre ses jambes en roucoulant.
Mrs Foster lui flatta la tête :
« Bonjour, bonjour, Bruce. Tu as passé une bonne nuit ? »
Elle vida sa tasse de thé en prêtant une oreille distraite à
la radio, qui continuait à bourdonner de la publicité. La voix,
exagérément enthousiaste, déclarait :
« ...sur T-422, la nouvelle planète de l'empire terrestre, où
ils étaient la seule espèce animale ! Ces adorables créatures
raviront votre famille. Les plumpys sont végétariens et incroyablement
doux ! Il en existe de toutes les couleurs, des verts, des roses, des tachetés...
C'est le nouvel animal de compagnie à la mode ! Adoptez vite un plumpy
! Profitez du tout premier chargement de cocons. Le prochain n'arrivera pas
avant un an ! Achetez aussi notre aliment spécial pour garder votre plumpy
en bonne santé. »
Mrs Foster coupa le poste de radio, rinça sa tasse et se dirigea vers
le salon. Sur la table basse trônait une grande cage de plastique. Bruce
sauta sur un fauteuil et jeta un air mauvais au contenu de la cage. La vieille
dame avait dû enfermer le plumpy par crainte du chat, volontiers jaloux.
Elle appela doucement :
« Doudou ? Doudou ? »
Un petit fredonnement monta du fond de la boite et le plumpy apparut entre les
barreaux. Il avançait très lentement sur six minuscules pattes
rondes. Son corps était ovale, un peu aplati sur le dessus, sans véritable
tête ni appendice caudal. Lanimal nétait pas plus gros
quun chat. Il possédait une large bouche bordée de petites
dents arrondies et trois grands yeux attendrissants, aux longs cils. Sa peau
était nue et lisse comme le caoutchouc d'une balle rebondissante, bleue
avec de fines zébrures oranges. Les plumpys pouvaient se déformer,
devenir tout rond ou au contraire s'allonger légèrement, ce qui
amusait les enfants.
Depuis leur mise en vente quinze jours auparavant, ils étaient devenus les chouchous des bambins du monde entier grâce à une campagne de publicité aussi gigantesque qu'efficace. Si on n'achetait pas un plumpy à son fiston, on était désormais un parent indigne. Doudou était le cadeau d'anniversaire de Wendy, la petite-fille de Célestine. La vieille dame désapprouvait tout ce battage médiatique mais elle avait cédé aux suppliques de l'enfant. Craignant une pénurie de plumpys, elle avait acheté Doudou une semaine avant et le gardait chez elle car Wendy était en vacances chez sa tante dans le New Jersey. Elle comptait lui apporter à son retour, cette après-midi, pour lui faire la surprise.
Mrs Foster ouvrit une boite de mélange spécial plumpy et prépara
une gamelle. Doudou l'avait un peu inquiétée ces derniers jours
car il s'était mis à enfler bizarrement sous la bouche. Mais comme
il avait l'air en pleine forme et manifestait un appétit féroce,
cela ne devait pas être bien grave. Elle souleva la gamelle et susurra
:
« Il a faim, le Doudou ? »
La bouche du plumpy s'ouvrit sur un sourire carnassier. Les mignonnes petites
dents rondes avaient disparu, laissant la place à des crocs acérés,
longs de six bons centimètres. Mrs Foster, tétanisée d'horreur,
laissa échapper la gamelle qui roula sur le tapis rose. Bruce se hérissa
et poussa un feulement rauque avant de s'enfuir. La vieille dame recula lentement,
les mains tremblantes, et chevrota :
« Gentil, Doudou... »
Doudou avança sur ses petites pattes et fit claquer sa mâchoire. Il s'attaqua aux barreaux de sa cage, s'acharnant sur le plastique. En quelques secondes, il eut dévoré la paroi. Gagnant le bord de la table, il se laissa tomber sur le tapis où il atterrit mollement. Mrs Foster l'avait regardé faire avec une fascination morbide, hypnotisée par l'affreux spectacle. Le plumpy se tortilla et ses six pattes se rétractèrent dans son corps. Il se gonfla alors avec un répugnant bruit de baudruche et commença de rouler vers la vieille dame. Celle-ci émit un cri strident et, cédant brusquement à la panique, se rua dans le couloir. Au passage, elle saisit son sac à main, un grand fourre-tout en imitation serpent. Sans regarder derrière elle, elle s'engouffra dans les toilettes et verrouilla la porte. Sasseyant sur labattant, elle reprit son souffle.
Qu'était-il arrivé à Doudou ? Comment des crocs avaient-ils pu soudainement lui pousser ? Quelle était donc cette abomination qu'elle avait failli offrir à sa petite fille ? Et que faire à présent ? Un grincement sinistre se fit entendre : le plumpy attaquait la porte des toilettes. Mrs Foster fouilla fébrilement son sac, à la recherche de son arme. Elle s'était en effet récemment offert un pistolet pour dame à crosse de nacre. Au milieu d'un fouillis de produits de maquillage, de médicaments et de mouchoirs brodés, elle finit par dénicher l'objet. Le bois craquait sous les assauts de Doudou et la porte ne tarderait plus à céder. La créature avait percé un trou et l'agrandissait méthodiquement. Mrs Foster apercevait sa peau bleutée.
Tremblante, elle ôta le cran de sûreté, visa soigneusement et tira sur le plumpy. Celui-ci poussa un glapissement aiguë et fut projeté en arrière. Célestine bondit hors des toilettes, traversa la cuisine et sortit dans le jardin. Elle n'était pas sûre d'avoir tué le petit monstre et préférait mettre un peu de distance entre elle et lui...
A trois rues de là, Sean achevait ses céréales devant
l'écran virtuel de son ordinateur.
Le jeune homme était grand et dégingandé, avec des oreilles
décollées, une longue tignasse bouclée et un démon
stylisé tatoué sur le bras gauche. Il portait un jean déchiré,
des chaussures à plate-forme bardées de chaînes et un t-shirt
noir à l'effigie d'un groupe de hard rock du début du siècle.
Dans la chambre mansardée aux murs couverts de posters, résonnaient
les accords de Within temptation, sur une platine CD d'époque.
Sean consultait un forum sur le web et ce qu'il y lisait lui faisait froncer
les sourcils. Il s'était bien douté que l'introduction sur Terre
d'une espèce comme les plumpys n'était pas une très bonne
idée mais de là à ce qu'ils tuent des gens ! Il y avait
eu quelques accidents isolés la semaine d'avant mais le site signalait
une forte recrudescence des attaques depuis la veille. Mais, au fait, Mrs Foster
n'en avait-elle pas un chez elle ? Saisi d'un sombre pressentiment, le jeune
homme se leva et dévala les escaliers. Il s'arrêta devant un râtelier
plein à craquer et saisit un fusil à pompe. Traversant la maison
à grandes enjambées, il cria :
« Je t'ai emprunté un flingue, John. Dis à M'man que je
sors ! »
Le troisième époux de sa mère, affalé devant la
Tridi avec une canette de Bud, grogna un vague assentiment.
Sean traversa le quartier. Son inquiétude lui semblait vaguement ridicule
mais l'expérience montrait que, parano, on vivait plus longtemps. Au
sortir du parc, il se figea brusquement. Une grosse femme en combinaison jaune
gisait sur le bitume, face contre terre. Après une bonne minute d'hésitation,
le jeune homme s'avança doucement, le coeur battant. Il contourna le
corps. Un trou béant s'ouvrait dans le flanc de l'obèse, comme
si un animal vorace avait pris une grosse bouchée et laissé le
reste. Le sang avait giclé un peu partout. La bile envahit la bouche
de Sean et ses céréales ne tardèrent pas à se retrouver
sur le trottoir.
« Holy shit !!" jura-t-il "Qu'est-ce que c'est que ce fucking
truc ?! »
Il jeta des regards angoissés autour de lui mais la rue était
déserte. Serrant le fusil, il se mit à courir. Parvenu chez Mrs
Foster, il sauta la petite barrière blanche et enjamba les massifs de
tulipes. Au même moment, la vieille dame déboula dans le jardin,
l'air affolé, un plumpy aux trousses. La bestiole saignait abondamment
mais cela ne la ralentissait que peu. Sean s'interposa. Oubliant dans le feu
de l'action l'existence du fusil à pompe, il décocha un grand
coup de New rock dans la mâchoire de la bête. Celle-ci couina lamentablement
et tomba sur le flanc. Sean la bourra de coups de pieds en beuglant :
« Ramasse ça, dickhead ! Tiens, saloperie ! Motherfucking alien
! »
Quand il s'arrêta enfin, hors d'haleine, il ne restait de la créature
qu'une bouillie sanguinolente violette. Il se tourna vers Célestine et
lui fit un petit signe de la main :
« -Salut, l'ancêtre.
- Salut, gamin. Merci pour le coup de main. »
Ils se firent la bise puis le jeune homme reprit :
« - Mais qu'est-ce que cest que ce bordel ?
- Aucune idée. Je donnais à manger à Doudou quand des dents
terrifiantes lui sont soudainement poussées et qu'il est devenu fou furieux.
- Doudou ? »
Sean jeta un coup doeil au magma étalé sur la pelouse.
« -Y en a un qui a bouffé la grosse.
- Miss Moore ?
- Ouais. Je crois que tous les plumpys ont pété les câbles.
Je texpliquerai plus tard.
- Oh lala, quand je songe à mes enfants ! Tous leurs voisins dans limmeuble
avaient une de ces horribles bêtes. Je vais les appeler. »
Elle rentra dans la cuisine et décrocha le Fibrocom. Avant même
quelle ait annoncé le code, une voix synthétique lui déclara
sur un ton guilleret :
« En raison dun trop grand nombre dappels, notre réseau
est saturé. Veuillez renouveler votre demande. »
Mrs Foster raccrocha sèchement :
« - Ca ne marche pas. Il faut que jy aille. Tu veux bien maccompagner,
gamin ? Je serai plus tranquille.
- Ca roule !
- Laisse-moi juste le temps de passer mes Nike. »
Célestine sesquiva. Sean ouvrit le frigo et en sortit une bière.
Voilà qui lui donnerait du courage ! Il emporta sa trouvaille dans le
salon :
« Son of a bitch ! Elle est sans alcool ! »
Désappointé, il repoussa la bouteille et se laissa tomber dans
un fauteuil. Son regard erra sur les napperons, les assiettes décoratives
ornées de fleurs, les tapis moelleux... Il poussa un hoquet de surprise
: sur le paillasson de la véranda se trouvaient les restes du chat, à
demi dévorés. On apercevait encore une oreille au milieu des lambeaux
de fourrure. Sean eut une brusque suée. Il se leva comme un automate
et se hâta vers le dressing. Célestine en ressortait chaussée
dune paire de baskets roses. Il lattrapa par le bras et murmura
:
« Ils sont dans la maison ! Cassons-nous ! »
Ils coururent vers le garage et montèrent dans lélectrique
sans permis de Mrs Foster. Elle insista pour prendre le volant. Comme ils descendaient
lallée du jardin, deux plumpys, un noir et un rouge, sortirent
de la véranda et roulèrent vers eux. Serrant les dents, la vieille
dame accéléra. Lune des créatures bondit, dents en
avant, mordit dans le pare-choc et passa sous la roue. La voiture eut un cahot
et heurta le second monstre. Célestine ferma les yeux. Quand elle les
rouvrit, ils étaient dans la rue et il ny avait plus de plumpy
en vue. Elle braqua pour éviter une barrière, faisant crisser
les pneus, puis enfonça laccélérateur.
« - On vous a eus, fucking bastards ! Yihaaaa !
- Si tu me voyais, mon pauvre Jack... »
Ils foncèrent vers le centre ville. Dans les hauts-parleurs de la voiture,
Aznavour chantait de sa voix grave :
« Montmartre en ce temps-là
Accrochait ses lilas
Jusque sous nos fenêtres... »
et Sean faisait la grimace. Mrs Foster coupa brusquement la musique :
« - Mon dieu, jai oublié Bruce !
- Euh... je crois quon ne pouvait plus rien pour lui.
- Oh non...
Elle essuya une larme puis dit dune toute petite voix :
- Si tu mexpliquais ce qui se passe à présent ?
- Il se passe que ces putains de majors sont prêtes à tout pour
faire du fric. Ces bestioles sont dangereuses mais ils s'en foutent. Je parie
qu'ils ne les ont même pas étudiées avant ! Des scientifiques
ont publié des mises en garde sur le web.
- Mais l'état aurait interdit leur commercialisation !
- Les majors ont dû leur graisser la patte et s'arranger pour que les
études tombent aux oubliettes...
- C'est criminel de vendre quelque chose de dangereux ! De mon temps...
- De ton temps, on vendait des téléphones portables et tout le
monde savait pourtant que ça grillait le cerveau.
- Tu as raison... »
Célestine se renfrogna. Elle réfléchit quelques minutes
puis reprit :
«- Ces animaux étaient censés être végétariens.
- Les études que j'ai lues disent que leur système digestif est
celui d'omnivores. Ils se seront rabattus sur les plantes faute de proies. Qu'est-ce
qui dit que ces merdes n'ont pas bouffé tous les animaux de T-4222 ?
- Quelle horreur ! Et comme ça, un beau matin, il leur pousse des dents
à tous et ils nous ajoutent à leur régime alimentaire ?
- Ils ont dû réagir à la présence de nouvelles sources
de nourriture en arrivant sur Terre. Ils ont sans doute entamé leur métamorphose
dès leur éclosion.
- Ca expliquerait le gonflement de Doudou. Les plumpys sont arrivés sous
forme de cocons en champ de stase. Ils ont donc tous à peu près
le même âge...
- Exactement ! C'est une putain d'invasion !
- Il faut agir... »
A ce moment précis, un hurlement atroce résonna dans la rue et
Mrs Foster écrasa la pédale de frein. Un homme en jogging était
attaqué par un plumpy, quil tenait en respect en brandissant une
poubelle en alu. La vieille dame descendit de la voiture :
« Il faut aider ce monsieur ! »
Sean la suivit avec son arme. Cependant, le plumpy avait bondi sur sa victime
et saccrochait à son ventre. Lhomme tomba sur le dos en poussant
des cris stridents. Le sang imbibait ses vêtements. Célestine décocha
un grand coup de sac à main au monstre, lenvoyant rouler au sol.
Sean fit jouer le fusil à pompe mais, quand il appuya sur la gâchette,
rien ne se produisit.
« Bullshit !! Il nest pas chargé ! »
Le plumpy, qui avait repris ses esprits, sauta sur ses pattes. Sa gueule dégoulinait
de sang. Il savança vers Sean en émettant une sorte de grincement.
Le jeune homme shoota dedans de toutes ses forces, le projetant dans le caniveau.
Puis, il lui asséna un coup de crosse, lui écrasant la tête
et faisant jaillir toutes sortes de fluides qui éclaboussèrent
son t-shirt. Il recula en titubant, proche de la nausée.
Mrs Foster sétait penchée sur la victime. Lhomme
était allongé sur le trottoir et ne bougeait plus du tout. Son
sweat-shirt déchiré révélait une terrible plaie,
par laquelle séchappaient les entrailles écarlates. Une
infecte odeur dexcréments sen exhalait. Sean émit
un gémissement et éclata en sanglot :
« Cest... cest trop laid. On na pas pu sauver ce pauvre
mec ! »
Célestine le prit dans ses bras et lui tapota le dos :
« - Allons, allons, nous avons fait ce qui était en notre pouvoir.
Il faut repartir.
- Et mon maillot qui est complètement niqué ! »
Il frotta la tâche visqueuse sur son torse, au bord de lhystérie.
« - Mais non, un peu deau froide et de savon de Marseille et il
ny paraîtra plus. »
Mrs Foster le poussa dans la voiture et redémarra.
Quelques minutes plus tard, ils atteignaient le centre ville. Un spectacle
apocalyptique les y attendait. Le stock de plumpys du grand magasin sétait
échappé et les petits monstres roulaient dans les rues, à
la poursuite des passants. Une voiture folle sétait encastrée
dans la vitrine du fleuriste. Le restaurant Burger King avait pris feu et dénormes
panaches de fumée noire séchappaient des fenêtres
en tourbillonnant. Célestine fit un écart pour ne pas rouler sur
un cadavre.
« Oh, mon dieu, je crois que cétait monsieur Abott, mon dentiste...
Et là, cest Mrs Clarke. La pauvre a lair mal en point...
»
Partout, des gens fuyaient ou se défendaient avec des moyens de fortune.
Mrs Foster conduisait en zigzaguant, jetant des regards affolés dans
toutes les directions. Ici, un plumpy saccageait un parterre municipal, engloutissant
les fleurs. Là, un autre pillait une échoppe de hot dogs et gobait
tout rond aussi bien les petits pains que les bouteilles de sauce. Tout à
coup, un homme sabattit sur le capot. Célestine poussa un hurlement
et Sean sembla reprendre ses esprits sous le choc. Ils regardèrent le
corps, horrifiés. La moitié du crâne manquait et une bouillie
sanguinolente en dégoulinait. Un plumpy rose à pois verts bondit
sur la voiture et commença à dévorer le cadavre. Il émettait
de répugnants bruits de succion et des jappements de plaisir. Une soudaine
explosion : un autre plumpy avait mordu dans un pneu, le faisant éclater.
Sean eut un hoquet, comme sil allait vomir. Sa compagne le saisit par
le bras :
« - Nous ne sommes plus très loin de chez mon fils. Courons jusque
là-bas !
- O... OK. »
Il saisit le fusil par le canon, comme une massue et ouvrit la portière.
Ils sélancèrent dans la rue, sefforçant déviter
les combats. Au bout de deux cent mètres, Sean haletait et son visage
était écarlate. Il sarrêta pour respirer et jura bruyamment
:
« - Motherfucking clope ! Si je survis, jarrête de fumer !
- Certains viennent par ici, gamin ! Il faut y aller ! »
Sean se retourna et aperçut trois plumpys multicolores qui roulaient
dans leur direction. Les petites sphères boursouflées arrivaient
à grande vitesse. Célestine fit feu, vidant son chargeur, et en
toucha une. Les deux autres sarrêtèrent, se dégonflèrent
et sattaquèrent au blessé avec un bel appétit. Un
mouvement sur sa droite attira lattention de Sean : deux plumpys se dissimulaient
en bas dune paroi de briques. Leur peau caoutchouteuse avait pris la teinte
et la texture du mur. Seuls leurs grands yeux restaient visibles. Le jeune homme
déglutit bruyamment et se remit à courir derrière Mrs Foster.
Ils avaient atteint la bonne rue et le jeune homme reprit espoir.
Une soudaine douleur lui déchira larrière de la cuisse
: un plumpy quil navait pas vu venait de sauter sur lui et plantait
ses crocs dans son jean.
« Tine !!! Au secours !!! »
Célestine fit volte face, son revolver vide à la main. Sean avait
empoigné le petit monstre et tirait dessus de toutes ses forces mais
celui-ci tenait bon, cramponné de ses puissantes mâchoires. Mrs
Foster vint à son aide et ils parvinrent à le décrocher.
Le pantalon de Sean sétait déchiré largement et on
voyait les trous saignants laissés par les crocs. La créature
leur fit son sourire carnassier, prête à bondir. Célestine
lui jeta son arme inutile et il la goba avidement. Plusieurs autres créatures
approchaient en roulant. Ils reculèrent. La maison de Wendy nétait
plus quà quelques mètres et ils pourraient se barricader
à lintérieur.
La vieille dame se défit du contenu de son sac, objet par objet, pour
gagner du temps. Les monstres affamés engloutirent tout avec la même
voracité : aspirine, tube de rouge à lèvres, mouchoirs
de coton... Ils se chamaillaient pour la meilleure part, se donnant mutuellement
des coups de dents, grinçant et piaillant avec hargne. Les deux fuyards
atteignirent la porte et Célestine fit jouer la clé. Ils sengouffrèrent
dans le couloir mais au moment de refermer, un plumpy parvint à sinsinuer
dans lencoignure, où il demeura coincé, ruant et grognant.
Sean lui donna un coup de crosse :
« Ramasse, dirty little bastard ! »
Mais la bestiole continua à se tortiller, essayant de rentrer dans la
maison. Mrs Foster fouilla dans son sac et lui fourra le dernier objet dans
la gueule, un tube darnica. Le plumpy déglutit et simmobilisa
aussitôt. Sean et Célestine le regardèrent, intrigués.
Le plumpy écarquilla ses trois yeux et gémit pitoyablement. Puis,
il commença à trembler et explosa dans une gerbe de sang et dentrailles
violettes. Sean claqua la porte et tira le verrou.
« - Yippee ! » sécria Célestine. Un sourire
radieux illuminait son visage éclaboussé de fluides.
« - Quoi ?
- On a trouvé comment exterminer les affreuses bêtes ! Ils sont
allergiques à larnica ! Dépêchons-nous de sauver mes
enfants et allons à la pharmacie. Il y en a plein là-bas. On va
se les faire, ces monstres !! »