Il savance dans la plaine, contournant les bosquets, escaladant les rochers à nu. Le soleil tape durement sur son armure de cuir bardée de fer et sa gourde de peau est vide depuis bien des lieues. Ses muscles le tiraillent douloureusement mais il continue sa marche. Selon sa carte, un parchemin jauni acheté à un marchand oriental, il doit y avoir une rivière non loin. Peut-être à lorée de la forêt que lon aperçoit. Il glisse ses pouces sous les courroies de son havresac et force le pas.
Le voyageur a une silhouette massive et courtaude, des membres musculeux, et dégage une impression de grande force. Il est jeune, malgré sa barbe épaisse, et plein de vigueur. Il porte de lourdes bottes et un plastron gravé de motifs géométriques. La boucle dacier de sa ceinture sorne de gemmes qui jettent des feux pourpres et ses avant-bras sont gainés de métal. Ses biceps luisent de sueur. Sa peau est tannée par le soleil mais son regard est vif, résolument dirigé vers lavant. Sur son dos, il transporte léquipement dun aventurier aguerri et à sa ceinture pend une hache, aux formes élégantes mais mortelles.
Elle savance dans la forêt, se déplaçant de branche en branche, rapide et silencieuse. Une légère brise agite les feuilles et elle frissonne dans la fraîcheur du sous-bois. Elle a hâte de sentir sur sa peau la caresse du soleil, là-bas, au bord de la rivière. Elle saute dun tronc et prend appui sur un fin rameau, sans même quil ploie. Des oiseaux au plumage mordoré la regardent passer. Nulle crainte dans leurs petits coeurs ; elle est leur amie.
La promeneuse est une mince jeune fille, à la silhouette filiforme, aux gestes emprunts dune grâce parfaite. Elle est vêtue dune longue robe de soie, blanche et vaporeuse. Le long de lourlet, une broderie figure des feuilles entrelacées. Sa peau est fine et pâle, presque diaphane. Ses pieds nus se posent avec légèreté sur les branches, les effleurant à peine. Elle traverse la forêt telle un souffle de vent. On pourrait croire quelle vole. Dans ses longs cheveux, qui flottent derrière elle, une guirlande de fleurs se mêle à des bijoux dargent. Son visage a la fraîcheur de lenfance mais son regard les connaissances de nombreux siècles. Prudente, elle scrute les alentours avec une extrême attention.
Le nain s'approche
de la rivière, dévalant une pente argileuse. Sa barbe couleur
d'ocre et ses vêtements bruns se confondent avec le sol. Plongeant
ses mains en coupe dans le courant frais, il se désaltère
longuement. Puis, il remplit sa gourde et s'asperge la tête. Un
franc sourire adoucit ses traits carrés tandis que des gouttes
perlent sur les tresses de sa barbe. Son visage est dominé par
un nez imposant, en forme de tubercule, et par des sourcils broussailleux.
Il a les cheveux étonnamment longs pour un nain.
Tout son corps exalte la puissance de sa race. Il est bâti pour soulever de lourdes charges et dans ses veines, coule la lave de volcans immémoriaux. Il est fils de la montagne, des cavernes profondes, des pioches qui tintent et des joyaux souterrains. Il est le roc inébranlable et le feu de la forge. De son peuple, il a la fierté tapageuse et le courage sans faille.
L'elfe aperçoit la vive lumière de l'orée du bois. Agile, elle bondit et atterrit sur le tapis de feuilles dans un silence parfait. La rive est inondée de soleil et elle s'étire avec délectation sous les chauds rayons, les yeux clos. Passant les mains dans ses cheveux, elles les ébouriffe. Sa chevelure, dorée comme les feuilles d'automne, encadre un visage ovale. Elle a un petit nez retroussé, d'immenses yeux très obliques, une bouche mutine. Ses vêtements sont froissés par sa course, bien loin de la traditionnelle perfection elfique.
Elle irradie la beauté de sa race. Son corps, souple comme un saule, est fait pour la danse et dans ses veines, coule l'onde pure de la rivière. Elle est fille de la forêt, des vallons ombragés, des chants cristallins et des fleurs multicolores. Elle est l'algue qui ondule dans le courant et la brise parfumée. De son peuple, elle a la bonté profonde et la douceur tranquille.
Le nain se penche à nouveau vers la rivière quand il laperçoit. Il est à quelques mètres de lui et pourtant, il ne la pas entendu arriver ! Aussitôt, sa main se porte à sa ceinture et il lève sa hache. Inquiet, il songe que l'elfe aurait pu labattre dune flèche et il maudit son manque de vigilance. Dans son esprit, dansent les préjugés issus de la haine ancestrale entre les nains et les elfes. Lanxiété crispe ses doigts sur le manche de son arme. Immobile, il observe son ennemi. Etonné, il constate quil lui fait front sans trembler. Pourtant, il croyait que tous les elfes étaient lâches... Ses parents lui ont répété que les elfes sont stupides. Malgré tout, il voit luire lintelligence dans les yeux de celui-ci. Nest-ce pas une femelle, dailleurs ? Difficile den être sûr, chez les elfes, on a toujours du mal à différencier les deux sexes... En tous cas, elle ne lui paraît pas si maigre que cela, et ses joues glabres ne sont pas si vilaines...
Lelfe tourne sur elle-même pour mieux sexposer au soleil quand soudain, elle laperçoit. Il est tout proche et pourtant, elle ne la pas vu arriver ! Instinctivement, elle soulève sa robe et en tire une dague, à la longue lame courbe. Pourquoi na-t-il pas encore attaqué ? La peur fait bondir son coeur dans sa poitrine mais elle soblige à faire face dignement. Dans son esprit, dansent les préjugés issus de la haine ancestrale entre les elfes et les nains. Glacée deffroi, elle détaille son ennemi. Ses parents lui racontaient des contes effrayants sur la violence des nains mais celui-ci a eu loccasion de la tuer et ne la pas fait... Elle a toujours cru que les nains étaient frustes. Aussi découvre-t-elle avec stupéfaction quil porte des bijoux de la plus fine facture. Est-ce bien un mâle, dailleurs ? Les deux sexes sont si semblables chez les nains... A bien y regarder, il semble très propre. Et il nest pas si petit que cela...
Le nain observe lelfe, fasciné. Le regard de la jeune fille, posé sur lui, a la couleur des bourgeons du printemps. Lentement, il baisse son arme. Il regarde la silhouette élégante, la longue chevelure, les oreilles effilées. Il simagine caresser la peau fine, enlacer la taille mince. De telles pensées sont totalement incongrues mais ... séduisantes. Il ne parvient pas à se rappeler pourquoi leurs deux peuples se haïssent.
Son coeur semballe. Leurs yeux ne se quittent plus. Une certitude étrange et soudaine naît dans son coeur : il nest pas venu ici par hasard. Ils étaient destinés à se rencontrer. Durant toutes ces nuits dans lobscurité des grottes, cest elle quil attendait. Elle va lui apporter ce qui lui manque.
Lelfe observe le nain, fascinée. Le regard du jeune homme, posé sur elle, a léclat mystérieux du saphir. Doucement, elle range sa dague. Elle regarde le corps puissamment charpenté et le visage aux contours anguleux. Elle se surprend à imaginer la douceur de la barbe, la chaleur de ces bras musculeux où elle pourrait se blottir. De telles idées la choquent mais elle ne peut les chasser. Elle ne parvient pas à se rappeler pourquoi leurs deux peuples se haïssent.
Elle se sent rougir. Leurs yeux ne se quittent plus. Elle ne saurait dire pourquoi mais elle a limpression quils se connaissent, quils se comprennent, que leurs pensées se répondent. Durant toutes ces nuits dans la solitude des arbres, cest lui quelle attendait. Il va lui apporter ce qui lui manque.
Il hésite. Ils ne parlent pas la même langue. Est-il possible que... ? Sa raison lui ordonne de partir. Il esquisse un mouvement.
Elle hésite. Ils ne vénèrent pas les mêmes dieux. Est-il possible que... ? Elle croit entendre la voix de sa mère la mettre en garde. Elle amorce un pas.
Ils se sourient.