Quand Hubert se réveilla ce matin-là, il se sentait merveilleusement bien. Reposé et détendu. Dune humeur toute rose et duveteuse, avec des petits coeurs autour. Dune humeur à nettoyer sous les meubles, à embrasser sa concierge, à chanter sous la pluie. Il bondit gaiement hors du lit, sétira avec volupté et tira les rideaux. Un rayon de soleil lui caressa le visage et il fut ardemment reconnaissant à la chance pour ce temps magnifique. En chantonnant un air à la mode, il se dirigea vers la salle de bain, se dévêtit et passa sous la douche. Il soupira de bien-être en senduisant de savon parfumé et de shampoing sous le jet tiède.
Dissimulée dans larmoire, entre les gants de toilette et les serviettes, une silhouette discrète observait Hubert. Elle mesurait à peine trente centimètres de haut et était trapue, humanoïde quoique bizarrement proportionnée, un rien bossue au niveau de lépaule gauche. Le petit être fut agité dun rire silencieux et colla sa figure à une fente de larmoire pour mieux voir. A ce moment, la chanson joyeuse dHubert se mua en un hululement aiguë et il écarta avec violence la douche qui crachait de leau glacée. Il tâtonna pour régler le mitigeur, la tête pleine de mousse. Peine perdue. Le chauffe eau avait du sarrêter durant la nuit et le ballon était vide. Faisant contre mauvaise fortune bon coeur, Hubert se rinça à leau froide. Après tout, ce nétait pas un peu de fraîcheur qui allait lui gâcher une aussi radieuse journée !
Il se sécha, peigna soigneusement ses courts cheveux blonds et se lança un clin doeil dans la glace. Grand et mince, une musculature entretenue dans les salles de gym les plus chics, il se trouva une mine superbe. Puis, il se dirigea vers sa penderie en sifflotant pour choisir ses vêtements. Il jeta son dévolu sur un costume anthracite, une chemise prune et une cravate violette. Puis, il prit une paire de chaussettes. Constatant quelles étaient dépareillées, il eut un petit rire nerveux et attrapa une autre paire. Elles aussi étaient dissemblables. Un peu énervé, il entreprit de vider les tiroirs. Tous comptes faits, cette journée ne lui semblait plus aussi parfaite...
>Sous le lit, le petit homme étouffa un pouffement entre ses mains. Encore un travail bien fait. Il sortit de sa cachette et traversa la chambre en prenant bien soin de rester dans langle mort de la vision dHubert. De toutes façons, il se déplaçait si vite quun humain naurait vu quune ombre. Lêtre était vêtu de rouge, avec de gros godillots de marche, des culottes au genou sur des bas blancs, des bretelles, une veste pourpre et un chapeau à boucle. Une pipe en bois sculpté était glissée à sa ceinture. Il avait de longues oreilles pointues, des cheveux dun roux éclatant, un nez crochu couvert de verrues et des yeux où pétillait la malice. Il passa dans lentrée et dissimula le parapluie dHubert. Une seconde douche froide ne pouvait pas lui faire de mal ! Puis, vif comme léclair, il fit un détour par le garage avant de courir vers la cuisine.
Hubert venait dy entrer. Il portait des chaussettes différentes sous son complet impeccable et son expression était un tantinet morose. Quand il appuya sur le bouton de la cafetière, le petit morceau de plastique se détacha et tomba sur le sol avec un bruit sec. « Oh merde ! » sexclama Hubert avec conviction. Il ferma les yeux et inspira à fond. Sa bonne humeur achevait de séroder. Il sassit sur le tabouret haut, puis ouvrit le journal du matin et entreprit de beurrer ses biscottes. Ses mains tremblaient légèrement. Quand il referma le pot de gelée de groseille, il heurta du coude une tartine qui bascula de la table. Cétait le moment quattendait le lutin. Il jaillit de derrière le lave-vaisselle et vint donner une impulsion à la tartine afin quelle sécrasât bien côté confiture. Puis, il se cacha à nouveau, hilare.
Atterré, Hubert vit lobjet gluant de sucre saplatir sur le carrelage immaculé. « Bordel de Dieu ! » jura-t-il. Tout en pestant, il entreprit de nettoyer les dégâts. Cette opération le mit en retard pour le bureau et cest dans un état dénervement considérable quil monta dans sa voiture. Il jeta sa mallette sur le siège passager et tourna la clé de contact dun geste rageur. Rien. Il essaya encore mais le moteur garda un parfait silence. « Saloperie de putain de bagnole !! » hurla Hubert, au comble de lexaspération et il tapa rageusement sur le volant. « Mais quelle journée de merde !! » Il sempara de sa mallette et se précipita dehors en direction de larrêt de bus. Le petit être le regarda partir avec un air attendri. Il jeta un oeil au ciel et vit les nuages noirs samonceler. Il ne tarderait pas à pleuvoir des trombes et le parapluie dHubert était resté à la maison comme prévu. Le lutin pouvait à présent passer dans la maison voisine où il soccuperait dun couple avec trois enfants en bas âge. « Ce que jaime ce boulot ! » songea Angus « Murphy » ODonnell.